pierre buhler
Président de l’Institut français, Ambassadeur chargé de l’action culturelle extérieure de la France
“La géopolitique, pour comprendre les ressorts du monde”
En croisant, à la fin du XIXe siècle, cette branche des sciences politiques qu’est l’étude des relations internationales avec une assignation à une aire géographique, les inventeurs du concept de géopolitique ont fondé une discipline à part entière. Malléable à souhait, ce concept permet d’ouvrir, par association à d’autres notions, autant de champs nouveaux d’étude et de réflexion, qui donnent lieu à un foisonnement d’ouvrages, d’essais, d’articles savants. C’est ainsi qu’on a vu paraître, à côté de titres attendus comme la géopolitique de la Chine, de la Russie ou du Vatican, des développements, également attendus, sur la géopolitique de l’énergie, de l’eau ou de Daech, mais aussi moins attendus, comme la géopolitique de l’émotion ou des séries. Et comme il fallait s’y attendre, les premières conjectures sur la géopolitique de l’après-Covid-19 fleurissent déjà.
Au point qu’on en vient parfois à questionner la pertinence de l’assignation géographique de tel ou tel concept, tant il a une connotation, sinon universelle, du moins mondialisée. Tel est le cas de l’Internet, ce réseau formé d’une myriade planétaire d’émetteurs et de serveurs. Mais il suffit d’observer que 10 des 13 « serveurs-racines » qui forment l’ossature de l’Internet mondial sont détenus par des entreprises américaines – et que sur les 30 premières entreprises de l’Internet dans le monde, la moitié sont américaines, et près d’un tiers sont chinoises – pour mesurer la prégnance des territoires – et le pouvoir dans les mains des Etats qui les contrôlent.
Mais plutôt que de déplorer que la notion de géopolitique soit galvaudée par accolement à d’autres concepts, même inattendus, il faut se réjouir de ce que de nouveaux terrains s’ouvrent ainsi à l’analyse géopolitique – qui est fondamentalement, au-delà de sa dimension descriptive, celle des rapports de forces. Leurs déterminants, leur fabrique, leurs conséquences pour l’ordre international constituent les clés incontournables de compréhension des ressorts du monde, des ressorts de l’histoire.
Il n’est donc pas étonnant de trouver, parmi les 25 ouvrages nominés pour le prix du livre de géopolitique, des essais sur des sujets aussi divers que les rouages du Parti Communiste Chinois, la tectonique des plaques démographiques, une étude de cas sur la genèse du djihad en France, la crise écologique planétaire comme nouveau terrain d’affrontement entre puissances ou encore le cas d’école d’un cadre victime collatérale d’une opération américaine de déstabilisation d’une entreprise française. Toute la richesse de la palette de la géopolitique du XXIème siècle.