La ville et ses mystères
C’est l’une des plus grandes migrations de l’histoire humaine. Depuis un siècle, la population urbaine augmente dix fois plus vite que la population mondiale. En 1910 moins d’un terrien sur dix vivait en ville, c’est le cas de près d’un sur deux aujourd’hui. Et pas n’importe quelle ville, mais les métropoles qui aimantent à la fois la richesse, le travail, l’éducation, la science, la culture et le pouvoir. Un phénomène anthropologique qui fracture les sociétés et dissout les nations.
Les économistes ont beaucoup chroniqué l’émergence de la Chine, l’influence de la finance et le bouleversement du numérique, moins cette transhumance irrésistible, territoire des géographes, des démographes et des romanciers. Ils se rattrapent aujourd’hui, déstabilisés par l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, le vote Brexit au Royaume Uni et, plus récemment, l’embrasement soudain des gilets jaunes en France. Tous ces événements apparemment sans lien racontent un monde à part qui ne veut plus suivre le rythme effréné imposé par des capitales toujours plus lointaines et sourdes à leur misère d’exclus. Celle-là même qui gonfle les populismes de tout poil, mais aussi redonne ses lettres de noblesse à l’art difficile du politique.
Pour sa première édition, en 1998, le prix du livre d’économie avait couronné le capitalisme zinzin de notre ami, confrère et regretté directeur du Monde, Erik Izraelewicz. Il témoignait du nouvel âge de la finance toute puissante. Depuis, les lauréats successifs ont tous raconté les changements du monde : la mondialisation, la technologie, la société. De plus en plus d’ouvrages et de spécialistes, se penchent désormais sur la ville et ses mystères.
C’est donc toute la vertu de ce prix, que Le Monde soutient depuis sa création, de promouvoir des œuvres capables d’éclairer le grand public sur les enjeux actuels. Ou parfois simplement de raconter par le détail et l’anecdote que l’on n’oubliera jamais des changements qui nous dépassent mais dont nous sommes pourtant les principaux acteurs.
Philippe Escande
Éditorialiste économique Le Monde