Quand une entreprise communiste se convertit au capitalisme

Par Ninon RENAUD

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Avis des lecteurs

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Olivier GUÉANT

Mathématicien, Entrepreneur et Directeur du Master Modélisation et Méthodes Mathématiques en Économie et Finance, Université Panthéon-Sorbonne Paris I

Difficile a priori d’écrire un papier digne d’intérêt sur une société productrice de cornichons et de raifort. C’est pourtant ce qu’arrive à faire l’auteur de cet article sur la société SpreewaldRabe qui rappelle les cornichons de l’excellent film « Good Bye, Lénine ! ».

On y découvre ou redécouvre de nombreuses anecdotes sur la réunification allemande : l’existence de sociétés privées en RDA, le fait que les défauts de paiement n’existaient pas en RDA et que ce risque n’était donc pas pris en compte, le fait que l’innovation n’était pas possible en RDA (quelle surprise !), les pratiques de la Treuhand, etc.

Bref, il s’agit là d’un joli article qui raconte une petite histoire dans la grande et qui doit donner de l’espoir à toutes les affaires familiales en tant de crise.


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Sophie ANQUETIL

Maître de Conférences en Sciences du Langage, Université de Limoges

La principale vertu des articles sélectionnés dans le cadre du Prix du Meilleur Article Financier est d’opérer une médiation entre l’expert économique et le néophyte dans un but d’accès à la connaissance du domaine économique. Les ajustements terminologiques et apports citationnels témoignent de cette volonté de médiation qui ne prive pas le lecteur d’une réelle démonstration scientifique, appuyée par des données empiriques. Le soin apporté à la didacticité a vocation à modifier l’état de connaissance du lecteur. La fonction informative des articles se double d’une fonction prescriptive invitant à une lecture critique et éclairée du monde contemporain, distanciée des représentations dichotomiques sur l’économie, de ses mécanismes systémiques, et de ses illusoires « mains invisibles ». Quelle que soit la ligne politique adoptée, ces articles constituent de véritables outils démocratiques : s’ils orientent la pensée, ils dotent dans le même temps le citoyen d’un pouvoir analytique, voire se font le relais de cette voix doxique et citoyenne qui appréhende les conséquences directes d’une économie qui interfère autant qu’elle est interférée. Ainsi l’économie est pensée dans ses relations, a priori antagonistes, mais désormais charnelles avec la nature et le vivant. La lecture de ces articles pose en effet une question essentielle pour le devenir de nos sociétés : l’écologie et la santé seront-elles les piliers de l’économie de demain ?


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Catherine KARYOTIS

Professeur d’Économie, Directrice du Master Analyse Financière Internationale, NEOMA Business School

L’article de Ninon Renaud est un article qui équivaut à une success story. Il explique la mutation d’un acteur (une entreprise familiale) ayant survécu à un changement de contexte sociopolitique. Il démontre par exemple qu’il est possible d’envoyer des signaux positifs en replaçant la dimension humaine au centre de la problématique. Il a en outre le mérite de se baser sur des verbatim des acteurs concernés et  à ce titre il est bien documenté.


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Frédérique BEC

Professeur d’Économie, Directrice du Master Ingénierie Économique et de l’Analyse de Données, Université Cergy-Pontoise

Partant de l'exemple d'une entreprise de cornichons crée en RDA, Spreewald-Rabe, cet article décortique les mécanismes de conversion au capitalisme des entreprises est-allemandes suite à la réunification. Il met en particulier l'accent sur le rôle d'une agence publique, la Treuhand, chargée de restructurer et de privatiser plus de 12000 sociétés publiques est-allemandes. La Treuhand a ainsi cédé 80% des actifs industriels de la RDA à des groupes ouest-allemands et seulement 5% à des investisseurs est-allemands, ce qui a été ressenti par l'ex-RDA comme une "colonisation". L'article montre le parcours du combattant que les époux Belaschk, propriétaires de Spreewald-Rabe, ont dû endurer pour éviter la faillite et finalement parvenir à déployer leur activité des deux côtés du mur de Berlin. 


Pascale MARCAGGI

Responsable des Relations Jury et Éditeurs chez Lire la Société

Nous connaissons plus volontiers les cornichons du Spreewald pour avoir vu "Goodbye Lénin !" de Wolfgang Becker que pour en avoir goûtés : dans ce film, ces fameux cornichons symbolisent l’Ostalgie. Les enfants d’une communiste convaincue, sortie d’un coma qui lui a occulté la chute du Mur de Berlin, en cherchent partout dans la ville : ils s’évertuent à lui reconstituer son monde d’avant, pour ne pas lui infliger un choc alors qu’elle est malade. 


Ce qui est attachant, avec la saga de cette petite entreprise est que les époux Belaschk ne sont pas tombés malades. Avec les moyens du bord et beaucoup de détermination, ils ont échappé à tous les rouleaux compresseurs de l’Histoire : en particulier à la Treuhand, cet instrument de nationalisation, puis de revente des actifs des entreprises est-allemandes à l’Allemagne de l’Ouest. Et découvert le capitalisme à leurs dépens. 

Aujourd’hui, les cornichons de SpreewaldRabe sont en vente sur internet : ils sont le must du cornichon aigre-doux, car la famille Belaschk se vante d’être revenue à la recette est-allemande, moins sucrée que ne le lui avait d’abord imposé le marché ouest-allemand. Une production de surcroit bio !

Leur histoire n’est pas aigre-douce. Et moins anecdotique qu’il n’y paraît : les cornichons de SpreewaldRabe sont une tradition culinaire allemande, que nous ne partageons pas. Mais nos cornichons français sont en grande partie cultivés en Asie. Là, les époux Belaschk ont une longueur d’avance sur l’Histoire.