E-commerce : les dessous d’un grand bazar fiscal
Par Ingrid FEUERSTEIN
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Mathématicien, Entrepreneur et Directeur du Master Modélisation et Méthodes Mathématiques en Économie et Finance, Université Panthéon-Sorbonne Paris I
L’article traite d’une question en apparence simple : le non-paiement de la TVA par de nombreux vendeurs (étrangers) sur les marketplaces des grandes plateformes d’e-commerce. En réalité, cette question, soulève au-delà de la question de la lutte complexe contre la fraude, de nombreuses questions sur la mondialisation à l’heure du commerce en ligne.
En effet, si les frontières ont presque cessé d’exister pour les biens, les différentiels de systèmes fiscaux ont des incidences non-négligeables sur les économies. Ainsi, un vendeur étranger, qu’il soit indélicat ou simplement ignorant du système de TVA français, va « pouvoir » proposer des prix 5, 10 ou 20% inférieurs à ceux pratiqués localement. S’il semble y avoir un problème spécifique avec les vendeurs chinois, des acteurs plus proches de nous profitent d’exonérations sur les importations de montant faible ou arbitrent les différentiels de taux de TVA en Europe.
Une directive européenne sera appliquée en France en 2021 qui supprimera des exonérations et demandera aux plateformes d’e-commerce de collecter directement la TVA auprès des vendeurs. Toutefois, et c’est un point important quant à l’environnement actuel et futur, nous voyons bien que le temps du législateur n’est pas celui des affaires : plusieurs années sont nécessaires pour passer de l’identification d’un problème à la mise en place d’une directive ou d’une loi... et nous ne pouvons même pas parler de solution car les marketplaces hors de l’UE ne seront pas concernées.
Indirectement, cet article très bien problématisé nous invite à repenser les incidences de la fiscalité à l’heure de la mondialisation. Doit-on garder des taux de TVA élevés sur tous les produits quand nos voisins les baissent ? Plus généralement, comment financer l’Etat sans donner, incidemment, un avantage compétitif aux entreprises hors de nos frontières ? Dans un environnement où l’autre bout du monde est à un clic – une situation qui ne changera probablement pas dans le futur proche – l’avenir des commerces locaux, voire des centres commerciaux, pourrait être bien sombre, surtout si les réponses des Etats se focalisent sur l’amélioration de la collecte d’une taxe sans aller au fond du problème.
Maître de Conférences en Économie, Sciences Po Grenoble
Ingrid FEUERSTEIN nous interpelle sur les fraudes à la TVA dans le e-commerce. Confrontant les points de vue de plusieurs acteurs sur la question (entrepreneurs, l’Inspection générale des finances, un directeur fiscal, etc), l’auteure nous dévoile comment les petits arrangements avec la TVA pour les vendeurs non français et non européens sont devenus la règle. Comme si la TVA était devenue facultative, alors qu’elle constitue un pilier de notre système économique. Entre mondialisation, différences culturelles et règlementaires, certains trichent par omission et d’autres par profit. Cet article nous montre les jeux d’acteurs entre les vendeurs toujours à la recherche d’avantages concurrentiels, et les institutions publiques garantes de notre système économique et de l’égalité entre les acteurs économiques. Cet article nous montre comment les acteurs économiques s’adaptent à leur environnement institutionnel. Pourtant, ces acteurs suivent leur propre objectif individuel alors que nos règles résultent d’un débat démocratique.
Maître de Conférences en Sciences du Langage, Université de Limoges
La principale vertu des articles sélectionnés dans le cadre du Prix du Meilleur Article Financier est d’opérer une médiation entre l’expert économique et le néophyte dans un but d’accès à la connaissance du domaine économique. Les ajustements terminologiques et apports citationnels témoignent de cette volonté de médiation qui ne prive pas le lecteur d’une réelle démonstration scientifique, appuyée par des données empiriques. Le soin apporté à la didacticité a vocation à modifier l’état de connaissance du lecteur. La fonction informative des articles se double d’une fonction prescriptive invitant à une lecture critique et éclairée du monde contemporain, distanciée des représentations dichotomiques sur l’économie, de ses mécanismes systémiques, et de ses illusoires « mains invisibles ». Quelle que soit la ligne politique adoptée, ces articles constituent de véritables outils démocratiques : s’ils orientent la pensée, ils dotent dans le même temps le citoyen d’un pouvoir analytique, voire se font le relais de cette voix doxique et citoyenne qui appréhende les conséquences directes d’une économie qui interfère autant qu’elle est interférée. Ainsi l’économie est pensée dans ses relations, a priori antagonistes, mais désormais charnelles avec la nature et le vivant. La lecture de ces articles pose en effet une question essentielle pour le devenir de nos sociétés : l’écologie et la santé seront-elles les piliers de l’économie de demain ?
Professeur d’Économie, Directrice du Master Analyse Financière Internationale, NEOMA Business School
L’article Ingrid Feuerstein questionne une dimension financière, économique et sociétale : l’utilité sociétale de la TVA et les fraudes induites par les nouveaux business models émanant du E-commerce. Il est bien documenté avec de bons exemples. Plus encore, on notera la qualité de l’enquête terrain avec de nombreux chiffres permettant au lecteur de quantifier les process et leurs conséquences. Enfin, la confrontation de différents points de vue apporte une richesse supplémentaire en rendant robuste la démonstration de l’auteur.
Professeur d’Économie, Directrice du Master Ingénierie Économique et de l’Analyse de Données, Université Cergy-Pontoise
Exposé clair et précis des mécanismes de fraude à la TVA répandus dans le e-commerce, de leurs conséquences pour les vendeurs français et sur les recettes fiscales, de l'évolution de la réglementation et des effets pervers qu'elle pourrait entrainer notamment en termes de délocalisation hors de l'UE des plateformes de e-commerce.
Responsable des Relations Jury et Éditeurs chez Lire la Société
Cet article est très intéressant, car nous pensons tous faire une bonne affaire en effectuons un achat via une plateforme d’e-commerce. Qui n’a jamais passé une commande via Amazon ou Cdiscount ? L’habitude est rapidement entrée dans les mœurs. Notre commande nous parvient depuis le fin fond de la Chine, parfaitement conforme à notre attente et en un délai record. Nous faisons de surcroît plus volontiers confiance à ces marketplaces, qui représentent une garantie par rapport à tout autre achat hasardeux sur internet.
Or, ainsi que le démontre cet article à la faveur du casse-tête fiscal que représente l’e-commerce, nous avons mis le doigt dans l’engrenage. Il ne sera pas si facile de l’en retirer.
En effet, la TVA est, de loin, la toute première recette fiscale de l’Etat français : elle représente la moitié de ses recettes, deux fois plus que l’impôt sur le revenu. Mais 98% des vendeurs étrangers, pour plus de la moitié chinois, inscrits sur les marketplaces d’Amazon et de Cdiscount, ne sont pas immatriculés à la TVA.
Sans compter toutes autres les ficelles : la TVA en vigueur étant celle du pays de destination, les croquettes de votre animal de compagnie passent par le Luxembourg, où elle n’est que de 3%.
Au point que si toutes ces croquettes étaient réellement destinées aux luxembourgeois, cela signifierait qu’ils ont chacun cinq chiens et six chats. Mais cela n’est amusant qu’en apparence.
Depuis cette année, les marketplaces ont l’obligation de communiquer au fisc le chiffre d’affaires de chacun de leurs vendeurs, sous peine de fermeture de la plateforme entière. A partir de l’an prochain, elles devront s’acquitter de la TVA de leurs vendeurs. Et la franchise pour les importations inférieures à 22 euros, véritable source d’imagination pour échapper à la TVA, sera supprimée.
En somme, à partir de l’an prochain, l’Etat devrait recouvrer les 15 milliards d’euros (sur les 193 milliards d’euros que représente la TVA) correspondant à la fraude à la TVA via les plateformes d’e-commerce. Sauf que les plateformes non-européennes font déjà concurrence à Amazon et Cdiscount : sans que la question de la TVA ne se pose.
Ainsi, la bonne affaire que nous réalisons par nos achats via ces plateformes est-elle de court terme : elle pénalise l’économie, sachant que de l’électronique, elle s’est étendue à tous les secteurs de la consommation.