Liberté des villes, liberté des champs

 

Le siècle appartient aux villes. Désormais, on le sait, la compétition mondiale oppose au moins autant les métropoles que les pays. Ces constructions nietzschéennes, qui recherchent la lumière en prenant de la hauteur, ont déjà gagné. Enfin presque.

Les villes ont bâti leur réussite sur leur liberté : autonomie des individus, liberté d’entreprendre, de commercer, de créer, émancipation politique par rapport aux systèmes féodaux. Contre-culture, aussi. Les cités ont été jusqu’ici les lieux où se rencontrent – et parfois se cachent – les esprits dissidents.

Or la ville se police. Les règles se multiplient. Les cités sont des paradis de l’interdiction. Pour le meilleur, par exemple quand on assure la sécurité routière, mais aussi pour le pire, quand il s’agit de morale. Ainsi, punir le fait de fumer dans un parc ou dans la rue (alors que le tabagisme passif n’y existe pas) relève du puritanisme. Celui-ci ne fait jamais progresser les civilisations.

En outre, la ville se numérise. Tant mieux : on optimise les transports (les « mobilités », dit-on affreusement aujourd’hui) on mesure et économise l’énergie, on assure la sécurité des habitants avec des caméras, et la reconnaissance faciale. Là encore, on voit bien où se situe le danger...

La littérature, encore elle, est d’un grand secours. Dans le chef d’oeuvre de l’écrivain russe Eugène Zamiatine, « Nous autres », le décor est une ville superbe, technologiquement impressionnante, et transparente. Les immeubles sont en verre. Il n’est permis de tirer les rideaux que pour faire l’amour, et encore, après avoir obtenu un « ticket ». Le tout est évidemment une dictature totalitaire (« Nous autres » a été publié en 1920, aux débuts de l’URSS. Il est antérieur, et à mon avis meilleur, que le « 1984 » d’Orwell). Dans le Roman de Zamiatine, les habitants de la cité désireux d’échapper à l’oppression se sont réfugiés au delà d’un mur, dans une nature plutôt sauvage. Avec un niveau de vie très inférieur, mais dans la liberté...

La prospérité croissante des métropoles est une raison de se réjouir. Mais qu’elles n’oublient ce qui a fait leur force - la liberté - et tout sera gâché.

 

Etienne Gernelle
Directeur du Point