Le business de la dépendance
Par Clément LACOMBE
Clément Lacombe, 40 ans, est reporter au service Economie de L’Obs depuis 2018. Précédemment, il a occupé diverses fonctions au Point (2013-2018), où il a été notamment chef de service, et au Monde (2005-2013), où il a été chef adjoint de service, toujours en Economie. Il a par ailleurs co-réalisé un documentaire télévisé consacré à l’histoire du tournant de la rigueur et est le co-auteur d’un ouvrage de la collection Que sais-je ? consacré au Tour de France.
«Etre journaliste économique et financier dans un média grand public, c’est d'abord - je crois - avoir le souci constant de pouvoir être lu et compris par tout un chacun. Raconter le monde tel qu’il est, avec ses basculements, ses grandes ruptures, ses débats, ses controverses, en n’oubliant jamais de rester aussi accessible que possible à tous. Ne jamais s’interdire un sujet parce qu’il est trop technique ou trop aride, tout en sachant le rendre compréhensible pour ceux (nombreux, et j’en ai longtemps fait partie) qui ne sont pas familiers des choses économiques. Ecrire sur le quantitative easing, son fonctionnement, ses effets, les débats qu’il ouvre, tout en rappelant, au détour d’une phrase, ce qu’est un emprunt d’Etat, comment fonctionne le marché obligataire ou le rôle traditionnel d’une banque centrale. Trouver la ligne de crête qui permettra, avec un même article, de donner des horizons nouveaux au novice, et de donner au spécialiste une information inédite, une idée nouvelle, une nuance singulière. Ne jamais oublier, non plus, que le lecteur n’a jamais aucune obligation de vous lire, que toute personne qui pose ses yeux sur votre article est une chance et toujours se rappeler le précepte de Françoise Giroud : ''A quoi ça sert d’avoir du talent à la cinquième ligne si le lecteur s’arrête à la deuxième?''. Etre journaliste économique et financier dans un média grand public, c’est aussi, je crois, savoir se retrouver dans la masse colossale d’informations dans ce domaine - il n’est qu’à se poser quelques minutes devant un de ces terminaux Bloomberg qui peuplent les salles de marché pour être pris de vertige devant l’avalanche de nouvelles dépêches qui tombent. Sans doute que c’est en économie que s’applique le mieux le concept ''d’infobésité'', quand on voit la montagne de statistiques quotidiennes, les milliers de pages d’informations réglementées publiées par les sociétés cotées, le nombre colossal d’analyses publiées par tant d’institutions et d’acteurs financiers, par le monde académique… Au journaliste de trouver l’information éclairante, celle qui illustre des ruptures profondes, d’aller débusquer la meilleure expertise possible, celle qui fait consensus et la mieux construite, d’aller enquêter auprès des acteurs de terrain pour toujours être confronté à la réalité. Etre journaliste économique et financier, c’est enfin savoir déjouer les stratégies de communication à l'oeuvre. Ou tout au moins essayer de les déjouer - et ce n’est jamais simple. Il n’est sans doute pas d’autre domaine journalistique où la communication a autant de moyens, où la parole des décideurs est aussi maîtrisée, préparée, travaillée, aseptisée. Voilà pourquoi l’économie est une formidable école permanente de journalisme. Une formidable école d’humilité, aussi. »