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brice teinturier

Directeur général délégué d’Ipsos France

Raison et déraison

C’est le propre des périodes complexes, nouvelles, dans lesquelles les mutations s’accélèrent, que de générer un sentiment de déraison maximale. Lequel est surtout le symptôme d’une difficulté des élites à identifier, derrière ce qui semble confus, les ressorts profonds des dynamiques en cours. La société française n’est pas plus déraisonnable aujourd’hui qu’hier. Elle est en revanche moins lisible, plus fragmentée, plus radicalisée parce que face à la complexité accrue d’un monde menaçant, 6 scenarii de réponses sont possibles :

1)    affronter la complexité du monde et trouver des réponses adaptées.

2)    à l’opposé, hyper simplifier le réel (dont le complotisme est un des points d’aboutissement).

3)    construire des micro-collectifs (pour retrouver de l’homogénéité, des buts communs et de l’efficience mais dont le pendant est la fragmentation.

4)    conserver voire restaurer le passé (vive le bon vieux temps, source d’inspiration !).

5)    Purifier - la complexité est fille de l’hétérogénéité – jusqu’à la carricature, par exemple notre alimentation (« sans  gluten », « sans sucre », « sans viande », etc.) ou le corps social (« sans étrangers »).

6)    Enfin, augmenter les capacités humaines (si le monde est complexe et menaçant, augmentons les capacités du sujet pour triompher, d’où la fascination pour l’IA, la technologie, le transhumanisme, etc.).

C’est aussi cette diversité des réponses adressées à une monde complexe, toutes en réalité dotées d’une véritable rationalité, qui donne le sentiment d’une déraison accrue.

S’il y a cependant un lieu où les choses se sont véritablement déréglées, c’est dans l’espace de la délibération. Celui-ci a implosé parce que la vitesse de diffusion d’une réponse excède largement celle, forcément plus longue et laborieuse, du raisonnement et qu’elle prime sur lui ; parce que l’on s’affronte au lieu de se confronter ; parce que l’enjeu est de délégitimer le locuteur plutôt que d’argumenter sur les contenus et parce que faire parler de soi est devenu un objectif en soi.

L’enjeu ? Non pas « plus de raison » mais plus de délibération organisée.