Face aux Gafa, la nécessaire refonte des lois antitrust
Par Anaïs MOUTOT
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Mathématicien, Entrepreneur et Directeur du Master Modélisation et Méthodes Mathématiques en Économie et Finance, Université Panthéon-Sorbonne Paris I
Cet article évoque le regard critique que certains cercles académiques et politiques, notamment aux Etats-Unis, portent sur les lois anti-trust depuis quelques années. Ceux-ci pointent en effet du doigt le glissement progressif d’une logique anti-trust globale vers une logique purement motivée par la seule concurrence en prix.
L’article invite à une prise de recul historique, quitte à remonter au Sherman Act et donc à la fin du XIXè siècle. En effet, il y a eu au cours de l’histoire de nombreuses raisons pour lutter contre la formation de monopoles : les liens manifestes entre la concentration du pouvoir économique et l’existence d’un pouvoir politique, la nécessité d’avoir un large tissu industriel, etc. – en terme de gestion des risques à l’échelle d’un pays l’existence d’un tissu industriel varié est un atout comme le démontre la crise du coronavirus.
En fait, c’est probablement la facilité de l’utilisation d’une logique de prix par les juges qui a permis d’opérer ce glissement (glissement que je trouve toutefois contestable car les pratiques de prédation restent interdites...). De manière intéressante, ce sont les GAFA qui incitent à revoir les lois anti-trust car de nombreux effets ne passent pas par les prix de vente : les données des clients ne sont ainsi pas monétisées par exemple, l’accès aux clients sur les smartphones pour les développeurs d’applications doit passer par les grandes plateformes et ce, indépendamment des prix, etc.
Cet article manque un peu de structure car il foisonne d’exemples mais c’est peut-être là sa force car ceux-ci montrent la difficulté à penser les incidences multifactorielles des pratiques commerciales, notamment des GAFA. Il est clair que la logique de prix pratiqués aux consommateurs ne suffit pas pour définir une bonne politique anti-trust et qu’il y a beaucoup à faire pour les économistes et les juristes dans le présent et le futur proche.
Jean-Marc FOULT
Une difficulté supplémentaire: la compétition entre états: pour exister, il faut avoir de TRES grosses entreprises, faute de quoi, ces très grosses entreprises - étrangères donc - nous envahissent et aspirent nos ressources économiques et financières.
Si l'on est pragmatique, il est peu probable que les USA, quel que soit leur président, renonceront au GAFAM, ou les chinois à leurs équivalents. Winner takes all... Donc les européens n'ont pas d'autre choix que de s'unir pour fabriquer eux aussi des géants type Airbus. Les autres solutions, certainement plus "justes", me paraissent moins réalistes.
Maître de Conférences en Économie, Sciences Po Grenoble
Anais Moutot retrace dans son article les moments clés des débats sur les lois anti trust dans l’histoire américaine. Elle nous rappelle comment John D. Rockefeller fut impacté par ces lois anti trust. La journaliste met en lumière les controverses concernant les lois anti trust : les lois anti trust existent-elles pour protéger le consommateur en garantissant le prix le plus bas, ou pour éviter la concentration des pouvoirs économiques et politiques dans les mains d’une minorité, et ceci pouvant être anti démocratique ? Bien que cette question soit toujours d’actualité, Anais Moutot nous montre comment les règles établies par les lois américaines sont aujourd’hui désuètes face aux stratégies des GAFA. En effet, les GAFA fondent leur domination en étant indispensables à tous les producteurs, en devenant le canal de distribution principal des producteurs. Cet article nous rappelle comment les liens entre pouvoir économique et pouvoir politique sont forts et que leur régulation s’incarne par le travail des hommes politiques et de la loi. Il montre aussi que ces controverses ne sont pas nouvelles, et qu’elles doivent être toujours améliorées car les entreprises vont plus vite que la régulation.
Maître de Conférences en Sciences du Langage, Université de Limoges
La principale vertu des articles sélectionnés dans le cadre du Prix du Meilleur Article Financier est d’opérer une médiation entre l’expert économique et le néophyte dans un but d’accès à la connaissance du domaine économique. Les ajustements terminologiques et apports citationnels témoignent de cette volonté de médiation qui ne prive pas le lecteur d’une réelle démonstration scientifique, appuyée par des données empiriques. Le soin apporté à la didacticité a vocation à modifier l’état de connaissance du lecteur. La fonction informative des articles se double d’une fonction prescriptive invitant à une lecture critique et éclairée du monde contemporain, distanciée des représentations dichotomiques sur l’économie, de ses mécanismes systémiques, et de ses illusoires « mains invisibles ». Quelle que soit la ligne politique adoptée, ces articles constituent de véritables outils démocratiques : s’ils orientent la pensée, ils dotent dans le même temps le citoyen d’un pouvoir analytique, voire se font le relais de cette voix doxique et citoyenne qui appréhende les conséquences directes d’une économie qui interfère autant qu’elle est interférée. Ainsi l’économie est pensée dans ses relations, a priori antagonistes, mais désormais charnelles avec la nature et le vivant. La lecture de ces articles pose en effet une question essentielle pour le devenir de nos sociétés : l’écologie et la santé seront-elles les piliers de l’économie de demain ?
Professeur d’Économie, Directrice du Master Analyse Financière Internationale, NEOMA Business School
L’article d’Anaïs Moutot est intéressant et traite d’un enjeu politique actuel mais l’article est mal « articulé ». Le lecteur a du mal à comprendre le retour en arrière mobilisé par l’auteur, il eut été utile de justifier plus clairement le besoin de relire l’histoire pour proposer une argumentation de refonte de la loi anti-trust. Le titre de l’article est à ce sujet en dissonance avec la conclusion : l’auteur parle de refonte, terme particulièrement fort, et propose, in fine, quelques aménagements seulement. L’apport pédagogique reste limité, citons l’exemple de la « méthode concurrentielle juste » précisée au demeurant dans les points à retenir. Le lecteur attend des éclaircissements sur le qualificatif de « juste », puisque mis comme un instrument de refonte.
Professeur d’Économie, Directrice du Master Ingénierie Économique et de l’Analyse de Données, Université Cergy-Pontoise
Cet article met l'accent sur la nécessité de modifier les critères des lois antitrust américaines qui, au fil des décennies, se sont essentiellement focalisés sur l'évolution des prix dans les secteurs concernés. En soulignant qu'une grande partie de l'activité des géants du numérique, relevant de services gratuits, échappe à ce critère de prix, cet article met en avant d'autres critères qui sont actuellement à l'étude tels que les barrières à l'entrée, les conflits d'intérêt, le contrôle des données ou l'existence de goulets d'étranglement.